Une Impasse

Les Ancêtres lui avaient refusé leur parole. Telle fut la pensée de Duc lorsque le premier rayon de soleil, frappant ses paupières, le tira de sa torpeur. Il se mit debout au bord de la falaise et contempla le soleil levant. Sans y penser, s’interrogeant sur sa destinée, il regardait la lumière matinale envahir la plaine désertique à ses pieds.

Pas une goutte de véritable sang indien ne coulait dans les veines de Grand Duc Avisé, il le savait parfaitement. Mais les Ancêtres n’ayant pas d’origines différentes des siennes, la raison de leur silence était à chercher ailleurs. Tout était faux dans son existence, tout sur cette planète n’était que le résultat d’un fantasme mégalomane. D’une part, la technologie avait atteint un tel degré de sophistication qu’elle avait donné naissance à la terragénèse, l’art de créer des planètes. D’autre part, la domination de l’Aristocratie Stellaire sur l’Humanité avait atteint un tel degré d’indécence que certains seigneurs bien fortunés pouvaient se faire construire de véritables planètes sur mesure, population comprise. Les terracréateurs manipulaient le temps lui-même, projetaient leurs œuvres dans des trous de vers pour que ces planètes puissent être offertes à maturité à leurs commanditaires. Des populations entières de plantes, d’animaux et même d’êtres humains étaient fabriquées puis manipulées pour habiter ces lieux de façon à satisfaire la commande, les créateurs allant jusqu’à conditionner leur culture la plus profonde.

Cette planète avait été entièrement fabriquée pour satisfaire le caprice d’un seigneur stellaire, passionné par le Far West. La commande avait été parfaitement satisfaite, Grand Duc n’en doutait pas : il se sentait indien, tout en lui lui criait qu’il était indien, son âme, sa langue, sa peau, ses nerfs. Le fait de savoir que ses lointains aïeux étaient le produit d’usines de bioculture avant d’être projetés avec leur planète dans les abîmes du temps ne changeait rien.

Grand Duc parlait avec ses ancêtres comme eux l’avaient fait avant lui. Peu importait que cette coutume ait été savamment reconstituée à partir de documents d’archives sur une civilisation dont il ne restait que quelques traces folkloriques dans la mémoire universelle. Lui, et tous ceux de sa race artificielle, vivaient cette expérience comme authentique. Le mensonge, après tout, n’était pas de leur fait.

La faim et le froid le tirèrent de ses méditations. Il relança le feu avec quelques branchages, fouilla son sac à la recherche de viande séchée. Lorsqu’il la trouva, il s’assit les pieds dans le vide et mangea.

Il ne comprenait pas pourquoi les Ancêtres avaient refusé de le conseiller. Il avait pourtant suivi le rituel, choisi un lieu approprié, mangé des champignons sacrés, prononcé les mots, accompli chaque geste. Il était parvenu à entrer en transe. Et là, rien. Comme si les Ancêtres l’avaient ignoré, méprisé. Comment comprendre cela ? Il pensa à la journée qui l’attendait. Les Ancêtres désapprouvaient-ils à ce point ce qu’il s’apprêtait à faire qu’ils refusaient même de lui parler ? Quoiqu’il en soit, difficile de voir là un bon présage.


Jack Wenger entendit son frère se réveiller en pestant et en toussant.

— Quelle bonne idée de dormir à la belle étoile ! J’ai respiré tant de sable que j’ai cru étouffer.

— C’était ton idée, Carl, lui rappela Jack. Je me demande comment tu as fait pour dormir d’ailleurs. Moi, je n’ai pas fermé l’œil.

Tandis que Carl continuait de râler tout en essayant de trouver quelque chose de comestible dans leurs sacs, Jack sortit un miroir à main qu’il gardait toujours dans une sacoche de sa selle et commença à se lisser ses cheveux déjà gris avec de la salive.

— Ce soir, nous serons riches, dit-il en vérifiant si quelque mèche rebelle ne lui aurait pas échappé.

— Ou morts, compléta son frère.

— Carl, Carl, Carl, répondit-il sans cesser d’examiner son reflet, il faut de l’optimisme !

Jack avait les yeux gris, comme ses cheveux, et cela lui déplaisait. Il se sentait envahi par cette couleur, celle du vieillissement, et il faisait son possible pour la chasser. Malheureusement, sa vie aventureuse ne lui en laissait pas le loisir. Pour trancher, il portait des vêtements noirs, mais, immanquablement, la poussière et le soleil du désert les ramenaient à un gris déprimant. Il en était d’ailleurs de même des autres teintes. Mais demain, lorsqu’il serait riche, fini la grisaille ! Teinture noire, chemise de satin rouge, costume noir, la classe. Il s’occuperait enfin de lui comme il méritait. Et les autres aussi prendraient soin de lui parce qu’il le vaudrait bien. Il sourit en pensant à tous ceux qui ramperaient à ses pieds pour lui plaire.

— Je suis le Roi, je suis le Roi, chantonna-t-il sans y prendre garde, j’ai les dents blanches au bout des doigts...

— Qu’est-ce que tu marmonnes ? demanda Carl.

— Rien, t’occupe.

Lorsqu’il regardait son frère, Carl avait peine à croire qu’ils étaient issus de la même mère. De huit ans son cadet, il y avait pourtant bien des années qu’il avait pris l’ascendant sur lui. Au premier abord, il semblait le contraire : la maturité visible donnait immédiatement l’avantage à Jack ; son aisance avec les autres et sa galanterie toujours parfaite avec les dames laissaient Carl dans l’ombre. Mais de là, il était celui des deux qui prenait les décisions.

Carl caressait machinalement son bouc noir en regardant son frère se raser ; il n’y avait vraiment que lui pour faire cela en de pareilles circonstances ! Carl se disait que, demain, il n’aurait peut-être plus à se soucier de lui. Jack était indifférent à l’appel de l’espace, ne désirant que luxe et femmes. Carl, lui, voulait un univers à la mesure de son ambition, un univers à conquérir. Mais pour cela, il lui fallait quitter cette maudite planète, et demain, ce serait possible.

Carl vérifia que ses revolvers, qu’il avait nettoyés la veille, n’avaient pas trop souffert de la nuit dans le désert et qu’un grain de sable n’allait pas enrayer cette mécanique à un moment crucial. Puis il chargea à nouveau les chevaux avant de pester après son frère.

— Ça va, t’es assez beau comme ça pour te faire tuer aujourd’hui. Maintenant, monte en selle, Kurt nous attend.

Jack se leva en soupirant, donna de grandes claques à ses vêtements qui n’en parurent pas moins poussiéreux et grimpa enfin sur son cheval.


La lumière inondait la chambre tandis que le vent, entrant par les fenêtres brisées, soulevait les rideaux en une curieuse chorégraphie. Kurt se leva sans faire de bruit pour ne pas réveiller sa compagne et regarda au dehors. La journée s’annonçait belle. Il s’en réjouit, mais une part de lui-même le regrettait : s’il avait plu, Kurt aurait dû remettre l’attaque du convoi à une date ultérieure. Et qui sait ? au final, tout aurait pu être annulé. Que se serait-il passé alors ? Il n’aurait jamais pu quitter cette maudite planète, il aurait dû accepter sa petite vie médiocre. Plutôt mourir, fût-ce aujourd’hui.

Kurt se retourna et admira la chevelure noire de Jézabel répandue en désordre sur l’oreiller dans lequel son visage était enfoui. Elle allait encore pester d’avoir sombré dans le sommeil avant de les avoir attachés, pensa-t-il avec un sourire.

Ce soir, ils seraient riches et dans quelques jours tout au plus, ils fuiraient ce Far West de carton-pâte et ils vogueraient tous deux dans l’espace sidéral vers Orion ou Bételgeuse. Kurt ne connaissait pas encore leur destination. Les habitants de cette planète ne pouvaient à peu près rien savoir du reste de l’Univers, alors les noms d’étoiles ou de constellations s’emplissaient d’imaginaire et en devenaient poétiques.

Était-ce le poids de son regard ? Jézabel commença à gémir puis à bouger. Son bras chercha son compagnon sous les draps sans rien trouver.

— Kurt... Tu me regardes dormir ?... Tu sais que je n’aime pas ça... Reviens te coucher...

— Il est tard, Jézie. Les autres sont déjà en chemin.


— Vous êtes prêts à continuer ? demanda Kurt.

Les cinq membres de la bande s’étaient retrouvés dans le village abandonné où Jézabel et Kurt avaient passé la nuit. Ils avaient revu leur plan dans le saloon désert, écarté les dernières questions. Puis, ils avaient enfourché leurs montures.

— Il est encore temps de reculer, insista Kurt.

Les quatre autres se regardèrent. Grand Duc repensa aux Ancêtres qui avaient refusé de le conseiller, mais décida de garder cela pour lui.

— Bien, conclut Kurt, alors allons-y.

D’un léger coup de talon, il mit son cheval en route. Les autres le suivirent sans un mot.


Le convoi qu’ils allaient attaquer était chargé d’or. Il devait passer dans un canyon étroit qui formait un coude à la moitié de sa longueur. Un fourgon blindé et chargé d’or serait accompagné de soldats répartis en deux groupes placés devant et derrière. Jack et Carl devaient provoquer une avalanche de rochers sur l’avant-garde juste à la sortie du coude à l’aide d’explosifs. Arrivé là, le chariot serait difficile à manœuvrer et le temps qu’il fasse demi-tour, les cinq hors-la-loi s’en prendraient à l’arrière-garde. L’effet de surprise et la confusion qui suivrait l’avalanche devait compenser leur infériorité numérique.

Tel était le plan, et tous pensaient qu’il était bon. Mais, même avec le meilleur des plans, on s’attend à ce qu’il y ait des mauvaises surprises, il n’arrive jamais que tout se déroule comme prévu. Du moins était-ce ce qu’ils pensaient avant que l’attaque ait lieu, lorsqu’ils regardaient la poussière levée par le convoi approcher dans le désert. La peur qui précède l’action s’emparait d’eux, jouant de leurs esprits qui ne cessaient de revenir sur tout ce qui pourrait mal tourner.

À leur grande surprise, tout se déroula ensuite comme prévu : l’avalanche détruisit l’avant-garde sans laisser un seul soldat en état de combattre, et ils purent neutraliser l’arrière-garde rapidement bien qu’ils étaient largement inférieurs en nombre. En quelques minutes, tout avait été réglé avec une facilité déroutante. Kurt pensa même qu’enfant, il avait parfois eu plus de difficultés à chaparder un bonbon dans une épicerie. Ils n’auraient même pas besoin de forcer la porte du fourgon : Jézabel en avait trouvé la clé sur l’un des conducteurs.

Kurt la glissa dans la serrure et tourna. Il y eut un cliquettement curieux qui lui déplut, suivi d’un bruit évoquant une turbine se mettant en route. Kurt fit volte-face, ouvrit la bouche pour crier aux autres de se mettre à l’abri et commença à courir. Mais ces deux gestes restèrent suspendus avant qu’il ait pu prononcer une seule syllabe ou faire un seul pas. Il disparut, noyé dans une explosion de lumière venant du fourgon, explosion qui emporta également ses amis.


Les Ancêtres lui avaient refusé leur parole. Telle fut la pensée de Duc lorsque le premier rayon de soleil, frappant ses paupières, le tira de sa torpeur. Il se mit debout au bord de la falaise et contempla le soleil levant. D’abord sans y penser, il regardait la lumière matinale envahir la plaine désertique à ses pieds. Progressivement, une étrange impression s’emparait de lui, un sentiment de déjà-vu. Il regarda plus attentivement le paysage devant lui, essayant de retrouver le souvenir exact de cette scène, sans y parvenir. Avait-il rêvé ? Il ne s’en souvenait pas.

Ayant froid et faim, il relança le feu avec quelques branchages, fouilla son sac à la recherche de viande séchée. Lorsqu’il la trouva, il s’assit au bord de la falaise, les pieds dans le vide, réfléchissant. Il se rappelait que les Ancêtres avaient refusé de le conseiller. Il avait pourtant suivi le rituel, choisi un lieu approprié, mangé des champignons sacrés, prononcé les mots, accompli chaque geste. Il était parvenu à entrer en transe. Et là, rien. Comme si les Ancêtres l’avaient ignoré, méprisé. Comment comprendre cela ? Y avait-il un rapport avec cette sensation d’avoir déjà vécu ce réveil ?

Il pensa à la journée qui l’attendait. Silence des ancêtres et impression de répétition, difficile de voir là un bon présage.


Jack Wenger entendit son frère se réveiller en pestant et en toussant.

— Quelle bonne idée de dormir à la belle étoile ! J’ai respiré tant de sable que j’ai cru étouffer.

— C’était ton idée, Carl, lui rappela Jack. Je...

Il s’interrompit. Tandis que Carl continuait de râler tout en essayant de trouver quelque chose de comestible dans leurs sacs, Jack gardait le silence, troublé.

— Ce soir... serons-nous riches ? demanda-t-il.

— Riches ou morts, prédit son frère.

Jack ne répondit pas. Il prit son miroir et s’y regarda, mais cette fois, ce n’était pas pour examiner sa coiffure ou son teint, mais pour s’y reconnaître. Il avait tant de fois contemplé son reflet et il savait qu’il n’était jamais deux fois le même, de subtiles différences tenant à l’humeur, aux circonstances, à la lumière ou simplement au temps qui passe, marquaient toujours son visage. L’image que le miroir lui renvoya ce jour-là, pourtant, il avait l’impression de la connaître déjà parfaitement sans pouvoir dire quand il l’avait déjà vu.

— On ne peut entrer deux fois dans le même fleuve, marmonna-t-il sans y prendre garde, car c’est une autre eau qui vient à nous...

— Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Carl.

— Rien, t’occupe.

Carl caressait machinalement son bouc noir. Son frère avait oublié de se raser. Cela ne lui était jamais arrivé depuis qu’il avait du poil au menton. Il devait être plus perturbé par la perspective de cette journée que Carl ne l’aurait cru.

Carl vérifia que ses revolvers, qu’il avait nettoyés la veille, n’avaient pas trop souffert de la nuit dans le désert et qu’un grain de sable n’allait pas enrayer cette mécanique à un moment crucial tandis que Jack chargeait les chevaux.

— T’inquiète pas, Carl, dit Jack tandis qu’ils montaient en selle. On va s’en sortir, on s’en sort toujours.

— Oh, ce n’est pas l’attaque du convoi qui me trouble. C’est cette journée. Elle est... comment dire... étrange ?

Carl soupira, donna de petite tape sur la croupe de son cheval et ils partirent sans rien ajouter.


La lumière inondait la chambre tandis que le vent, entrant par les fenêtres brisées, soulevait les rideaux en un curieuse chorégraphie. Kurt s’était levé sans faire de bruit pour ne pas réveiller sa compagne et regardait au dehors. La journée s’annonçait belle, il n’en avait pas douté. Il avait été réveillé tôt, trop tôt, alors qu’il faisait encore nuit, par un étrange pressentiment, une impression diffuse et indéfinissable qu’il ne savait pas comment exprimer.

Kurt se retourna et regarda la chevelure noire de Jézabel répandue en désordre sur l’oreiller dans lequel son visage était enfoui. Curieusement, il ne la trouva pas belle. Il l’examina plus attentivement et se rendit compte qu’elle lui paraissait morbide, comme s’il était en train de contempler un cadavre. Il ne voyait plus en elle la jeune femme pleine de vie qu’elle était, mais déjà la morte, le corps déjà au commencement de sa décomposition.

— Jézie ! cria-t-il. Réveille-toi ! Je t’en prie, Jézie !... Il est tard, Jèz, il est tard, trop tard peut-être... Réveille-toi... Les autres sont déjà là !


— Tous prêts à continuer, je parie ? demanda Kurt, un étrange sourire aux lèvres.

Les cinq membres de la bande s’étaient retrouvés dans le village abandonné où Jézabel et Kurt avaient passé la nuit. Ils avaient revu leur plan dans le saloon désert, écarté les dernières questions, à l’exception d’une. Aucun d’eux n’avaient abordé l’impression de déjà-vu qui les touchaient tous depuis leur réveil, mais les rares allusions qu’ils y avaient faites avaient suffi pour que tous sachent à quoi s’en tenir.

— Il est encore temps de reculer, mais le pouvez-vous seulement ? ironisa Kurt.

Les quatre autres se regardèrent. Grand Duc repensa aux Anciens. Ajouté à cet étrange sentiment de répétition, il lui semblait démentiel de continuer. Brusquement, il prit sa décision :

— Moi, Kurt, je ne continue pas. Je suis désolé.

Kurt le regarda avec un certain étonnement, puis lui répondit avec un sourire qui parut sincère :

— On ne t’appelle pas «Avisé» pour rien, Grand Duc !

— J’ai demandé conseil aux Anciens cette nuit, dit le Duc.

— Ah ? Et que t’ont-ils dit ? demanda Kurt, soudain intéressé.

— Rien. Ils ont refusé de communiquer avec moi. Ce n’est pas bon signe, tu comprends ?

Kurt le scruta du regard, cherchant la vérité. Il la trouva.

— Va, Duc, et raconte notre histoire, celles de cow-boys morts de ne pas avoir cru aux présages.

— Écoute...

Kurt donna une forte tape sur la croupe du cheval de Duc, qui partit aussitôt au galop.

— Quelqu’un d’autre souhaite déserter ? demanda-t-il aux autres.

Personne ne répondit.


Ils ne furent pas vraiment surpris que toute l’attaque du convoi se déroula exactement comme prévu. En quelques minutes, tout avait été réglé avec facilité. Kurt, la clé en main, se dirigeait maintenant vers la porte du fourgon.

Jézabel s’approcha de lui et lui saisit le bras :

— Crois-tu vraiment que tu doives faire cela ? Tu ne trouves pas que tout a été trop facile, que tout s’est trop bien passé ? Comme si...

Elle hésita. Alors il continua sa pensée :

— Comme si tout était déjà prévu ? Comme si nous étions en réalité tombés dans un piège ? C’est vrai. Mais je préfère ce destin-, plutôt que de continuer à vivre cette farce planétaire.

Kurt la glissa dans la serrure et tourna. Il y eut un cliquettement curieux qui lui déplut, suivi d’un bruit évoquant une turbine se mettant en route. Kurt pivota, et eut un sourire étrange que personne ne vit. Puis, il disparut, noyé dans une explosion de lumière venant du fourgon, explosion qui emporta également ses amis.


Cette nuit-là, les rêves de Grand Duc ne furent pas non plus visités par les Anciens. Pour autant, son sommeil ne fut pas seulement peuplé d’obscurité et de silence.

Dans son rêve, il était allongé. Au dessus de lui brillaient de nombreuses étoiles d’un éclat plus intense que ce qu’il avait jamais pu voir et la nuit s’en trouvait illuminée comme par une lune extraordinaire. Duc pensa qu’il devait se trouver sur une planète proche du centre de la galaxie. Il avait entendu dire que ce genre de cieux pouvaient exister là-bas.

Sous ses mains, sous sa tête, il y avait de l’herbe. Du coin de l’œil, il en voyait quelques brins d’un vert étonnant, particulièrement vif. Il caressa l’herbe et fut surpris de sa texture douce. En même temps, il regarda sa main. Elle était étrangement pâle, d’une teinte laiteuse, mais surtout, elle lui semblait irradier d’une lumière légère et douce. « Où suis-je ? » se demanda-t-il en levant la tête pour regarder autour de lui.

Il ne vit qu’une prairie à perte de vue, parsemée ça et là de quelques arbres ; puis remarqua la margelle d’un puits à quelques mètres. Il se leva et s’en approcha, sans que ses pas ou sa respiration ne produisent le moindre son. Il ressentit alors que le silence était total.

Arrivé à la margelle, il regarda au fond du puits. Il vit l’eau un peu plus bas, refléter les étoiles comme un parfait miroir, et même sa propre tête. Un autre visage se dessina alors sur l’onde en face du sien.

— Je vais bien, dit Kurt, ne t’inquiète pas.

Ils se redressèrent et Duc le dévisagea.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

— Je ne sais pas, répondit Kurt.

Puis, après un instant de silence, il reprit :

— Mais... je suis devenu un dieu... Je crois...

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce ainsi qu’on devient un dieu ?

— Je ne sais pas... Parfois, pas toujours... Les autres sont morts... Et puis, il existe d’autres chemins... Sans doute...

Ils se turent quelques instant. Puis Kurt reprit à nouveau :

— Tu es un homme libre maintenant. Cela aussi, cela surtout, je voulais te le dire. Même s’ils tiennent ton corps, ton esprit échappera toujours. Personne ne pourra le soumettre. Tu n’as plus besoin des Ancêtres. Tu n’as plus besoin de moi.

Alors, Duc s’éveilla. Il se mit debout au bord de la falaise, comme ce premier jour, comme ce second jour, et, face au soleil levant, dit :

« Au revoir, mon ami. »